Diversification of Jura SMEs

Bilan - 20 February 2020

A l’image des groupes Acrotec et Delmet, les petites et moyennes industries souhaitent diminuer leur dépendance vis-à-vis du secteur horloger. Des aides existent.

«Le tissu économique jurassien s’est beaucoup diversifié, même si notre canton abrite encore énormément de sous-traitants, dont la majorité travaille essentiellement pour le secteur horloger», n’a pas caché Jacques Gerber, ministre de l’Economie et de la Santé du canton du Jura. Ce dernier était l’un des six panélistes de la table ronde organisée par Bilan et Mazars le 30 janvier dernier à Delémont.

Devant une salle comble, le ministre a notamment rappelé la politique très active du canton en faveur des entreprises innovantes. «Nous pouvons prendre en charge le salaire d’un ingénieur jusqu’à six mois, voire une année, lorsque ce dernier travaille au lancement d’un tout nouveau produit. Le canton du Jura bénéficie d’une base légale pour octroyer le statut d’entreprise innovante. Cela permet aussi à un investisseur de bénéficier d’une défiscalisation partielle jusqu’à environ 200 000 fr. Parmi les outils disponibles, citons encore la possibilité de ne pas payer de loyer pendant six mois ou la prise en charge de la présence de la société concernée dans un salon spécialisé.»

A cela s’ajoute l’ouverture de locaux dévolus au Switzerland Innovation Park Basel Area à Courroux. Depuis octobre 2019, ce dernier loue sur le campus technologique du Jura une surface d’environ 500 m2 (qui passera à 1200 m2 environ prochainement). Animé par Sébastien Meunier, directeur Industrial transformation and entrepreneurship chez BaselArea.swiss, ce site est focalisé sur les domaines de la technologie médicale, la santé numérique, la technologie de santé et le secteur médical ainsi que la transformation industrielle (industrie 4.0). «Nous disposons d’un espace de coworking, de salles pour des workshops et nous mettons sur pied divers ateliers sur des thèmes spécialisés. A ce jour, ces ateliers ont attiré entre 8 et 30 participants. Ce lieu nous permet d’accueillir par exemple des startups bâloises ou des enseignants et les PME-PMI. Le but est de ne pas créer une tour d’ivoire, mais de favoriser une fertilisation du tissu industriel jurassien», indique ce dernier.

Ne pas mettre tous les œufs dans le même panier

Exemple de réussite: le groupe Acrotec, qui comprend à ce jour 20 entreprises sur 18 sites, majoritairement dans le Jura, mais aussi sur Genève, Vaud, Neuchâtel, Zurich et en France. Ce fournisseur réalise un chiffre d’affaires de 270 millions de francs avec un peu plus de 1200 employés. Surtout, actuellement, ses ventes se répartissent ainsi: 22% dans le médical, 30% dans la technologie de haute précision (connectique, automobile, aéronautique et défense) et 48% encore dans l’horlogerie et la joaillerie.

Le patron d’Acrotec est un Alsacien, François Billig, ayant longtemps œuvré chez KPMG, avant de diriger le robinetier Hansgrohe pour le marché français. Souhaitant devenir indépendant, il a saisi l’opportunité de racheter une PME active dans le décolletage, Vardeco, en 2001 à Delémont. «J’ai acheté au plus cher. Juste après, le chiffre d’affaires a été divisé par quatre. Cela a été très dur. J’ai dû me battre, mais j’ai découvert et apprécié le soutien des autorités, notamment pour permettre le chômage technique.»

L’aventure Acrotec démarre en réalité en 2006 avec le rachat de Kif Parechoc. Il sera suivi de nombreux rachats, surtout dès 2016. «Je me suis dit: évitons de mettre tous les œufs dans le même panier. Mes clients eux-mêmes m’ont encouragé à me diversifier dans le médical dès 2018, avec AFT. Mon objectif est de réaliser un tiers de mon chiffre d’affaires dans le médical, un tiers dans la haute précision et un tiers dans l’horlogerie. Mais pour y parvenir, il faut spécialiser chaque société. Les certifications ne sont pas les mêmes.» Les besoins en fonds propres sont très importants, c’est la raison pour laquelle François Billig travaille avec des fonds de private equity. «J’en suis actuellement à mon 5e fonds, en l’occurrence l’allemand Castik Capital. J’ai appris à travailler avec eux. Grâce à ces partenaires, j’ai réussi à être indépendant financièrement.» Ce dernier envisage à moyen terme une entrée en bourse.

Trouver les bonnes compétences

Autre témoignage entendu lors de la table ronde, celui de Douglas Spieser, CEO et administrateur de Delmet. Fondée en 1984, cette entreprise s’est concentrée dans l’usinage CNC de haute précision ainsi que dans la construction métallique complexe. La première spécialité représente 65% de ses activités. Depuis peu, Douglas Spieser parvient à faire un bon tiers de ses affaires dans le secteur des transports (ferroviaire et aérospatial). «Il s’agit d’un secteur peu cyclique, relève-t-il. Nous voulons rester actifs dans le segment destiné aux machines-outils, mais nous visons une répartition à 50/50.» Delmet est l’une des trois seules entreprises de Suisse à pouvoir réaliser de l’usinage pour de très grandes pièces, jusqu’à dix mètres de long, tout en assurant une grande précision.

Pour parvenir à se diversifier, notamment dans le secteur aéronautique, Douglas Spieser avait été contraint de recruter trois personnes à plein temps rien que pour maîtriser les normes obligatoires de ce secteur. «Cela m’a pris une année entière pour parvenir à identifier les personnes en question et à pouvoir les embaucher.» A ce propos, il constate que, depuis 2017, on assiste à une surenchère salariale du fait des gros volumes d’activité de l’industrie suisse. «Il est difficile de trouver les personnes adéquates. Et certains de nos collaborateurs nous ont quittés car ils ne pouvaient refuser certaines offres. Nous sommes dans une région de tradition horlogère. Or, chez Delmet, nous ne faisons pas dans les petites pièces.»

Le rôle de la CCI

Pas simple, en effet. Pierre-Alain Berret, directeur de la Chambre de commerce et d’industrie du canton du Jura, le confirme: «Il y a des entreprises qui tentent d’entrer dans le médical depuis deux ans et demi. C’est très difficile. Se diversifier, c’est sortir de sa zone de confort. Ce sont d’autres normes à appliquer.» Ce dernier joue un rôle d’interface. Il tente de réunir les forces en présence pour favoriser, par exemple, des partenariats, comme avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) à Neuchâtel ou avec l’Université de Bâle, par exemple. «Nous sommes allés visiter des centres de recherche à Allschwil, notamment un qui élabore des robots révolutionnaires pour soigner de manière moins invasive. Pour ce faire, ce centre de recherche fait appel à des technologies que les entreprises jurassiennes maîtrisent. En fédérant nos forces, la région peut parvenir à créer de la richesse.»

Afin de s’attaquer au problème du recrutement de talents, la Chambre de commerce et d’industrie du Jura va organiser pour la première fois une Nuit des entreprises jurassiennes le 17 septembre prochain durant laquelle une vingtaine de PME ouvriront leurs portes. Ce sera l’occasion de montrer au grand public, et aux jeunes en particulier, un savoir-faire et des métiers souvent méconnus.

Enfin, Jean-Baptiste Beuret, directeur et responsable de Mazars Delémont, a profité de la présence de nombreux acteurs locaux pour clarifier la pratique du canton à la suite de l’adoption populaire de la RFFA, avec la volonté d’utiliser au maximum les déductions liées à la patent box et aux dépenses de recherche et développement.